Quelque 5.000 sociétés belges ont procédé à des réductions de capital avant la fin de l'année 2017. Ces opérations échappent à la nouvelle taxe frappant les réductions de capital. Mais ne sont-elles pas dans certains cas susceptibles d'abus fiscal, par exemple lorsque la réduction de capital est inscrite au compte-courant de l'actionnaire ?
Selon Le Soir du 9 janvier, la fédération des notaires de Belgique aurait recensé 4.984 opérations de réduction de capital entre le 1er août 2017 et le 31 décembre 2017. Soit 12 fois plus que l'année précédente. Cette flambée de réductions de capital n'est guère étonnante. Les contribuables ont anticipé l'entrée en vigueur de l'une des mesures phares de l'accord gouvernemental de l'été 2017 : la requalification (partielle) d'une réduction de capital en dividende.
1. Le gouvernement tire à boulets rouges sur les réductions de capital
Le gouvernement a décidé de tirer à boulets rouges sur les réductions de capital. Le nouveau dispositif, qui a été adopté par la loi portant la réforme de l'impôt des sociétés du 25 décembre 2017, est relativement complexe. En bref, il consiste à requalifier une partie de la réduction de capital libéré en distribution de dividende, soumise au précompte mobilier (au taux de 30%). La quote-part de la réduction de capital requalifiée en distribution de dividende sera déterminée en fonction d'une règle de prorata. Sa mise en oeuvre est illustrée dans l'exemple ci-dessous. En bref, au plus la société a accumulé des réserves taxées (par rapport au montant du capital libéré), au plus le montant de la réduction de capital requalifié en dividende (taxable) sera élevé.
Cette mesure s'applique aux opérations de réduction de capital qui sont décidées par l'assemblée générale à partir du 1er janvier 2018. On relèvera ainsi qu'elle ne joue pas si la réduction de capital a été décidée par une assemblée générale tenue (devant notaire) à la fin de l'année 2017, même si le remboursement effectif s'opérera après le 1er janvier 2018 (en raison de la période d'attente de deux mois prévue par le Code des sociétés).
Exemple: Monsieur Peeters, résident belge, est actionnaire d'une société opérationnelle belge (OpCo). Il a fait, au cours des 20 dernières années, des apports en espèces et en nature (apport d'immeubles, d'actions...) au capital d'OpCo pour un montant de 5.000.000 EUR. OpCo a accumulé au fil des années des réserves taxées pour un montant de 10.000.000 EUR. OpCo dispose de liquidités excédentaires de 1.000.000 EUR. Monsieur Dupont souhaiterait retirer le cash de sa société, tout en évitant le précompte mobilier. Si sa société procède à une réduction de capital après le 1er janvier 2018, elle tombera sous le coup de la nouvelle mesure.
Par conséquent, le montant de la réduction de capital imputé sur le capital libéré sera limité à un prorata qui exprime le rapport entre :
- d'une part, au numérateur, le capital libéré, et,
- d'autre part, au dénominateur, la somme des réserves taxées, des réserves exonérées incorporées au capital et du capital libéré.
En l'occurrence, le prorata de la réduction de capital imputée sur le capital libéré sera de 33% (soit 5.000.000 / 10.000.000 + 5.000.000 = 33%). La partie de la réduction de capital imputée sur le capital libéré, égale à 333.333 EUR (1.000.000 EUR * 33% = 333.333 EUR), restera en principe exonérée. En revanche, le solde de la réduction de capital sera imputé en priorité sur les réserves taxées (666.666 EUR). Ce montant sera en principe soumis au précompte mobilier de 30%, ce qui conduira à une charge fiscale de 200.000 EUR (666.666 EUR x 30%).
2. La réduction de capital est-elle susceptible d'abus fiscal ?
Quelque 5.000 sociétés ont anticipé l'entrée en vigueur de ce nouveau prélèvement, en procédant à des réductions de capital avant la fin de l'année 2017. Elles ne sont toutefois pas à l'abri de tout risque fiscal. Comme le montrent les développements qui suivent, une réduction de capital est une opération semée d'embûches.
D'abord, il convient d'observer scrupuleusement les conditions rigoureuses prévues par le Code des sociétés en matière de réduction de capital, en vue d'éviter une requalification en dividende. Une telle irrégularité est susceptible d'entraîner des conséquences fiscales désavantageuses pour les actionnaires (précompte mobilier), voire pour la société (augmentation de la base imposable à hauteur de la réduction de capital libéré) suivant une certaine jurisprudence.
Ensuite, la réduction de capital est susceptible de constituer un abus fiscal (article 344,§1er du CIR). L'application de cette mesure anti-abus n'est pas à prendre à la légère : elle pourrait conduire à la requalification de la réduction de capital libéré en dividende taxable. Le Service des Décisions Anticipées (SDA), également dénommé "commission des rulings", est régulièrement amené à se prononcer sur l'application de la mesure anti-abus à des opérations de réduction de capital. Plusieurs enseignements pratiques peuvent être tirés de l'analyse de ces décisions anticipées.
a. Réduction de capital consécutive à une plus-value interne
Force est de reconnaître qu'une opération de réduction de capital est particulièrement susceptible d'abus fiscal lorsqu'elle est consécutive à un montage de plus-value interne. Est particulièrement visée l'opération suivante. Une personne physique apporte une participation dans une société opérationnelle à une société holding qu'elle contrôle, en réalisant une plus-value ("step up "). La société opérationnelle distribue ensuite (en partie) ses liquidités sous forme d'un dividende à la société holding. Dès lors que la holding détient 10% des actions de la société opérationnelle pendant un an, ce dividende sera exonéré de précompte mobilier et déductible à hauteur de 100% (depuis 2018) à titre de revenus définitivement taxés (régime des "RDT") chez la holding. La holding procède ensuite à une réduction de capital libéré avec remboursement aux actionnaires, en exonération d'impôt. Lorsque le montage poursuit un objectif purement fiscal (éviter le précompte mobilier sur les distributions de dividendes de la société opérationnelle), le risque d'application de l'article 344,§1er du CIR est réel.
On précisera au passage que si une "plus-value interne" a été réalisée par le biais d'un apport d'actions après le 1er janvier 2017, une éventuelle réduction de capital ultérieure ne pourra plus être effectuée en exonération d'impôt, en vertu d'une mesure spécifique introduite fin 2016 (article 184,§3 du CIR).
b. Réduction de capital comptabilisée en compte-courant
Aux yeux du fisc, le fait que le montant de la réduction de capital soit comptabilisé en compte-courant pourrait également constituer un élément négatif. Ainsi, dans le cadre de l'appréciation de l'application de la mesure anti-abus, le SDA examine fréquemment la manière avec laquelle une réduction de capital est financée.
À titre illustratif, dans un ruling du 6 juin 2017, le SDA a considéré qu'une réduction de capital n'était pas constitutive d'abus, en se reposant notamment sur les éléments suivants :
- le financement de la réduction de capital par la vente de placements (actions, obligations, parts d'OPC, etc.) ne rapportant pas un rendement suffisant ;
- l'absence de recours à l'endettement pour financer la réduction de capital, de sorte que l'opération n'aura pas un effet négatif sur le ratio de solvabilité (dette/fonds propre) de la société.
On peut se demander si sa conclusion aurait été la même si la réduction de capital avait été comptabilisée au compte-courant des actionnaires...
Il ne faut pas semer la panique : toute réduction de capital comptabilisée en compte-courant n'est pas nécessairement constitutive d'abus fiscal. Tout est question d'espèce et de mesure. Ceci étant dit, pour conforter son dossier en cas de discussion avec le fisc, il pourrait être conseillé de procéder à un remboursement effectif rapide (après la période d'attente de deux mois) de la réduction de capital aux actionnaires.
Il est piquant de constater qu'au Luxembourg, une réduction de capital non assortie de motivations économiques sérieuses est requalifiée de dividende, passible de la retenue à la source (15%). En pratique, on considère que les motivations économiques sérieuses font défaut lorsque la société dispose de réserves disponibles ou... lorsque la réduction de capital est financée par voie d'endettement.