Le 29 septembre dernier, la Cour de cassation a prononcé une décision qui devrait emporter de lourdes conséquences fiscales pour de nombreux résidents belges détenant des actifs immobiliers situés en France, au travers de Sociétés Civiles Immobilières de droit français (« SCI ») qui n’ont pas expressément opté pour leur assujettisement à l’impôt français des sociétés (« IS »). Ces SCI sont dotées de la personnalité morale et sont des sujets fiscaux en France. Ceci étant, le bénéfice déterminé au niveau de la SCI est directement imposable, au titre de revenu foncier, entre les mains des associés, proportionnellement à leur participation dans le capital. Les associés ne sont pas imposables, en droit français, sur les distributions ultérieures. Ces SCI sont donc qualifiées de « translucides ».
Si le régime fiscal des revenus issus d’une SCI ayant opté pour son assujettisement à l’IS n’appelle pas de commentaires particuliers (les dividendes étant, en principe, imposables au taux ordinaire du précompte mobilier [27 % ; 30 % à compter de 2017] alors que les plus-values devraient être exonérées dès lors qu’elles résultent d’opérations qui s’inscrivent dans le cadre de la gestion normale d’un patrimoine privé [soit en-dehors de toute opération spéculative ou d’opération considérée comme étant anormale]), il n’en va pas de même du régime fiscal des revenus/distributions émanant d’une SCI translucide ; cette question fait l’objet de nombreuses controverses et ce, depuis plusieurs années.
La problématique est ici celle de la qualification de telles distributions, trois approches pouvant être envisagées :
- Soit il s’agit de revenus immobiliers, auquel cas la convention fiscale franco-belge attribue le pouvoir de les imposer exclusivement à l’Etat dans lequel les biens immobiliers sont situés (soit, par hypothèse, la France) ;
- Soit il s’agit de dividendes ; dans ce cas, le pays de résidence (ici , la Belgique) récupère la faculté d’imposer ces revenus (alors même qu’ils l’ont déjà été à titre de revenus fonciers en France) ; l’administration fiscale belge ne cherche plus à défendre cette position, étant donné que les revenus retirés de la détention des parts sociales d’une SCI translucide ne sont pas soumis, en France, au même régime fiscal que les revenus d’actions ;
- Soit il s’agit de revenus considérés comme « innommés », dès lors qu’ils n’entrent dans aucune autre catégorie prévue par la convention fiscale ; le pouvoir de les imposer revenant, ici aussi, au seul État de résidence du bénéficiaire, c’est-à-dire la Belgique ; il s’agit de la thèse généralement défendue par l’administration fiscale belge.
Jurisprudence antérieure à l’arrêt de la Cour de cassation du 29 septembre 2016
Jusqu’à présent, une jurisprudence majoritaire (en ce compris la Cour de cassation dans un arrêt du 2 décembre 2004), s’opposait à la position de l’administration fiscale et considérait que ces revenus devaient être qualifiés de revenus immobiliers. Par conséquent, en application de la convention fiscale franco-belge, ces revenus n’étaient imposables qu’en France.
Le raisonnement suivi pouvait être résumé comme suit :
- Aux termes de l’article 3 de la convention fiscale franco-belge, la notion de bien immobilier se détermine d’après les lois de l’État dans lequel est situé le bien en question (ici la législation interne française) ;
- Dès lors que les revenus retirés par l’associé belge de la détention des parts dans la SCI translucide sont taxés directement dans son chef en France, à titre de revenus fonciers, c’est que la France considère nécessairement que ces revenus proviennent de biens immobiliers.
Arrêt de la Cour de cassation du 29 septembre 2016
La Cour de cassation a revu sa position en se fondant sur le protocole final annexé à la convention fiscale franco-belge et en se prêtant à une analyse « fouillée » des dispositions du droit interne français.
La Cour de cassation observe ainsi que n’y sont considérés comme des biens immobiliers que les droits sociaux que les associés possèdent dans le capital de SCI ayant pour unique objet :
- Soit la construction ou l’acquisition d’immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées à leurs membres en propriété ou en jouissance ;
- Soit la gestion de tels immeubles ainsi divisés.
Dans tous les autres cas, la Cour de cassation constate que, bien qu’elles relèvent effectivement du régime fiscal de translucidité, aucune des dispositions du droit interne français ne permet de considérer que des droits sociaux détenus dans ces SCI répondraient à la notion de bien immobilier pour les besoins de l’application de la convention fiscale franco-belge.
En d’autres termes, la Cour de cassation considère désormais que les revenus retirés par un associé belge de la détention des parts d’une SCI translucide ne constituent pas nécessairement des revenus immobiliers, et peuvent, par conséquent, constituer des revenus pour lesquels le pouvoir d’imposer est dévolu à la Belgique.
Or, cette dernière l’exercera, alors même que ces revenus auront déjà été imposés en France au titre de revenus fonciers.
Olivier Querinjean
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Yannick Woltèche
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