Un an après le prononcé de l’arrêt HP contre Reprobel par la Cour de justice de l’Union européenne, le gouvernement belge vient de déposer un projet de loi modifiant la réglementation en droit d’auteur. Ce projet de loi mettrait la loi belge en conformité avec l’arrêt européen. Voyons pourquoi le gouvernement va plus loin que la décision judiciaire ouvrant la porte à de nouvelles condamnations.
RÉSUMÉ DE L’ARRÊT HP DE 2015
Dans son arrêt du 12 novembre 2015, la Cour de Justice donna entièrement raison aux industriels:
- il faut établir une différence, comme en matière de copie privée, entre la reproduction réalisée « par tout utilisateur ou lorsqu’elle l’est par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales »;
- le système belge qui octroie aux éditeurs la moitié des droits de reprographie, sans aucune obligation pour eux « de faire bénéficier, même indirectement, les auteurs de la partie de la compensation dont ils sont privés » est contraire au droit de l’Union;
- le système belge dual de perception des droits de reprographie (sur les reproductions et sur les appareils) qui « n’est pas pourvu de mécanismes, notamment de remboursement, qui permettent l’application complémentaire des critères du préjudice effectif et du préjudice établi de manière forfaitaire à l’égard des différentes catégories d’utilisateurs » est aussi contraire au texte de la directive européenne en la matière.
RÉACTION DU GOUVERNEMENT BELGE
Le gouvernement belge a déposé le projet de loi qui, selon lui, mettrait la législation belge en conformité avec cette décision judiciaire européenne. Le projet de loi avait été annoncé en juin 2016.
Le texte voudrait (et fera car le Parlement ne modifie que rarement les textes d’un projet de loi gouvernemental):
- supprimer la rémunération forfaitaire due par les industriels;
- faire ressortir de la copie privée toutes les reproductions effectuées dans le cercle de famille;
- créer un véritable parallélisme entre exception et rémunération pour l’exception;
- créer un droit à rémunération propre pour les éditeurs pour les photocopies (une sorte de reprographie Canada Dry);
- rassembler et rémunérer en une fois, à l’instar du système français, toutes les exceptions en faveur de l’enseignement.
COMMENTAIRES ET CRITIQUES
Chacun de ses points apporte son lot de critiques. En voici quelques-unes:
- pourquoi vouloir supprimer la rémunération forfaitaire et garder la rémunération proportionnelle? Ceci alors qu’il est évidemment plus facile de collecter la rémunération auprès des industriels qu’auprès des utilisateurs finaux professionnels pour leurs reproductions d’oeuvres protégées. Question de lobbying?
- la création du droit voisin propre reconnu aux éditeurs (de presse et de livres) risque plus que probablement d’être annulée par la Cour de justice de l’UE…si une affaire est portée en justice. Sera-ce un jour le cas? Un auteur se risquera-t-il à contester le fait que son employeur/co-contractant continue à percevoir la moitié de sa reprographie? Nous en doutons. Le Ministre prétend qu’il a soumis « le régime à la Commission européenne en vue d’une évaluation informelle et la Commission a marqué son accord. (..) ». Il disposerait aussi d’avis juridiques qui l’ont rassuré. (DOC Parl. 54/2122/002, p. 14). Nous demandons à disposer de ces avis « réconfortants » ainsi que de l’analyse informelle européenne, ceci alors qu’un rapport français envisage une solution différente et que la Commission européenne a justement lancé une consultation publique sur le rôle des éditeurs dans la chaîne de valeur du droit d’auteur et qu’ont été déposées de nouvelles propositions de textes en droit d’auteur par la même Commission. Ne faudrait-il pas attendre les résultats de la consultation et des réformes européennes avant d’agir? Car nous sommes convaincus qu’il faudra modifier la directive de 2001 afin de créer un tel droit Canada Dry pour les éditeurs;
- rassembler toutes les exceptions en faveur de l’enseignement sous prétexte d’une simplification administrative et d’une meilleure sécurité juridique n’était nullement demandé par la Cour de justice. Tout est une question de budget évidemment. Rappelons que l’Etat belge est en défaut depuis 1998! dans la création des tarifs liés à l’exception numérique enseignement;
- plusieurs fois, le Ministre se réfugie derrière les conclusions du Conseil de la Propriété Intellectuelle. Ces conclusions ne sont pas disponibles. Par souci de transparence, nous demandons à en disposer afin de pouvoir juger par nous-mêmes.
DROIT D’AUTEUR = ARGENT ET BRAS DE FER
Encore une fois, nous nous apercevons que tout est une question d’argent et de lobbying plus ou moins réussi des uns et des autres. Et du manque de courage de nos gouvernements successifs.
Il est plus que scandaleux que la Belgique n’ait toujours pas transposé complètement la directive de 2001 mettant en adéquation le droit d’auteur avec la société de l’information et ne profite pas de ce projet de loi pour accomplir son devoir européen. Les impressions ne sont toujours pas dans le champ d’application de la reprographie. Nous avons près de 15 années de retard en la matière. Quel manque à gagner pour les auteurs!! Il est inadmissible que la Commission européenne ne réagisse pas. Mais il est connu que la Commission jamais n’intente d’action en manquement lorsqu’un Etat n’a pas sa législation droit d’auteur conforme avec le droit de l’Union. L’Etat belge n’a donc pas de souci à se faire.
Le Ministre prétend qu' »un État membre peut toujours décider de limiter le champ d’application des exceptions facultatives prévues par la directive. » (DOC Parl. 54/2122/004, p. 7). Le Ministre déclare aussi que « les impressions sont réalisées à partir de documents pour lesquels il existe une autorisation d’imprimer émanant de l’auteur (“open access”, licences “creative commons”, par exemple) » (même référence). Le Ministre a-t-il une étude en la matière pour supporter ses dires? De plus, au auteur qui aurait choisi d’ajouter une licence Creative Commons peut-il aller à l’encontre de la Loi? Nous ne connaissons aucun jugement qui irait dans ce sens.
Comme d’habitude en la matière, les solutions financières dépendront de futurs arrêtés royaux (AR) d’exécution. Nous savons que les Ministres ne sont jamais pressés à prendre ces AR. De plus, la loi ne comporte toujours aucune indication quant aux montants à atteindre. Les AR permettront-ils aux auteurs de percevoir leur juste compensation? Il est aussi étonnant que personne ne parle des conséquences de l’arrêt européen quant au passé. En effet, l’arrêt considère que les éditeurs ne devaient pas percevoir la moitié de la reprographie et ce depuis le début de l’instauration du système en Belgique. Donc depuis 1994. C’est même rappelé par le Ministre: « La législation en vigueur prévoit que les éditeurs perçoivent 50 % de la rémunération liée à l’exception (pour reprographie) au droit exclusif de l’auteur. Cette législation est contraire à l’arrêt de la Cour européenne de justice du 12 novembre 2015, qui indique que la rémunération de l’éditeur ne peut pas porter préjudice à la rémunération des auteurs. ». (DOC Parl. 54/2122/004, p. 6). Le gouvernement va-t-il faire en sorte que les auteurs soient remboursés d’une quelconque manière par les éditeurs? N’oublions pas que lorsqu’un arrêt de la Cour de justice annule une disposition nationale c’est en considérant que cette disposition n’a jamais existé du tout, avec donc effet rétroactif.
CONCLUSION
Nous nous apercevons que beaucoup resterait à dire pour compléter notre analyse de ce projet de loi que nous trouvons incomplet et manquant de transparence. Le Ministre se réfugie derrière des documents qu’il ne communique pas. De plus, nous trouvons inadmissible que la Belgique n’en profite pas pour transposer complètement une Directive vieille de plus de 15 ans.
Le droit d’auteur n’est qu’une question d’argent et de rapport de force et nous voyons clairement que seuls les industriels sont les grands gagnants des débats. L’intérêt des auteurs (seuls véritables ayants-droit de la reprographie) n’est pas pris en considération: ils verront leurs droits diminués et ne verront jamais la couleur des sommes que les éditeurs ont perçues indûment depuis des années.
Alea jacta est?