07/12/10

Des travailleurs âgés licenciés à l’âge de la pension: encore possible?

Règle

L'article 83, § 1 de la Loi relative aux contrats de travail permet de mettre fin au contrat de travail à durée indéterminée d'un employé qui atteint l'âge légal de la pension, moyennant un délai de préavis de trois mois (ancienneté < 5 ans) ou de six mois (ancienneté > 5 ans).
Ce délai de préavis est souvent bien plus court que le délai de préavis normal qui aurait dû être appliqué en vertu de l'article 82 de la Loi relative aux contrats de travail.
 
Violation du principe d’égalité?

La question se pose de savoir si la règle permettant de licencier un travailleur qui atteint l'âge de la retraite moyennant un délai de préavis réduit ne viole pas le principe d'égalité.
La Cour constitutionnelle a considéré que tel n'était pas le cas, dans son arrêt du 30 septembre 2010.
Selon la Cour, la différence de traitement repose sur un critère objectif, l'âge de l'employé. La Cour fait remarquer que la règle des délais de préavis réduits à partir de l'âge de 65 ans est intrinsèquement liée au fait d'atteindre l'âge normal de la pension, auquel le travailleur peut normalement revendiquer une pension de retraite complète.
La différence de traitement est en outre légitime. Les délais de préavis réduits sont en fait une compensation de la règle selon laquelle est nulle une condition résolutoire contenue dans un contrat de travail qui prévoirait que le fait d'atteindre l'âge légal de la pension met fin au contrat de travail (article 36 de la Loi relative aux contrats de travail). Par cette disposition, le législateur a voulu mieux protéger l'employé sur le point d'atteindre l'âge légal de la pension.
La conséquence de cette disposition pourrait cependant signifier pour l'employeur, qu'un travailleur qui atteint l'âge de la pension et qui travaille déjà depuis longtemps dans la même entreprise, ne pourrait être licencié que moyennant un délai de préavis très long. L'article 83, § 1 de la Loi relative aux contrats de travail veut éviter cela et rendre plus facile l‟emploi après l'âge de la pension.

Enfin, la Cour considère que la différence est raisonnable. L'application de délais de préavis réduits est uniquement possible lorsque le travailleur approche de l'âge de 65 ans. De plus, l'employeur n'est pas tenu d'appliquer les délais de préavis réduits.

Discrimination basée sur l’âge?

N'a pas encore été tranchée la question de savoir si les délais de préavis réduits sont également compatibles avec l'interdiction des discriminations basées sur l'âge.
La Cour constitutionnelle est d'avis, avec renvoi vers l'article 6, §1, premier alinéa de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, que des différences de traitement sur base de l'âge ne constituent pas des discriminations si elles sont justifiées objectivement et raisonnablement dans le cadre de la législation nationale, par un but légitime et que les moyens mis en oeuvre pour atteindre ce but sont proportionnés et nécessaires. Cela semble être effectivement le cas, tel qu'il apparaît de la motivation de la Cour.
 
Que dit l’Europe?

La Cour de justice est finalement la seule juridiction qui pouvant vraiment juger de la compatibilité des délais de préavis réduits avec l'interdiction des discriminations fondées sur l'âge.
La Cour s'est prononcée deux fois, le 12 octobre 2010, sur la rupture du contrat de travail à l'âge de la pension et la discrimination basée sur l'âge. Cette jurisprudence donne déjà des arguments pour défendre qu'il ne s'agisse pas d'une discrimination basée sur l'âge.
Dans une première affaire (allemande) (Rosenbladt, C-45/09), la Cour a jugé que la clause d'une convention collective de travail qui met automatiquement fin au contrat de travail au moment où est atteint l'âge de la pension et où naît le droit à la pension de vieillesse, ne constitue pas nécessairement une discrimination fondée sur l'âge. De telles clauses offrent aux employeurs d'une part, une flexibilité dans la gestion du personnel et d'autre part, une stabilité d'emploi ainsi qu'une perspective de pension à long terme aux travailleurs. De cette manière, elles forment un équilibre entre des intérêts divergents mais légitimes dans le contexte des relations de travail, en lien étroit avec les choix politiques sur le plan des pensions et de l'emploi.
Dans une seconde affaire (danoise) (Andersen, C-499/08), la Cour a à nouveau considéré que le fait qu‟un travailleur se prive d'une indemnité de licenciement au motif qu'il peut recevoir une pension de vieillesse payée par l'employeur, constitue bien une discrimination basée sur l'âge.

En ne permettant pas que l'indemnité de licenciement soit payée à un travailleur qui, bien qu'il entre en compte pour le paiement d'une pension de vieillesse par l'employeur, souhaite néanmoins refuser temporairement de recevoir cette pension pour poursuivre sa carrière, la règlementation va au-delà de ce qui est nécessaire pour tenter d'atteindre des objectifs sur le plan de la politique sociale, et n'est donc pas justifiée.
Il apparaît clairement de ces deux affaires que la Cour ne permet pas seulement aux Etats membres une large possibilité de choix afin de réaliser les objectifs de politique de l'emploi et de politique sociale, mais également que les mesures permettant d'atteindre ces objectifs peuvent être diverses.
Sur cette base, il ne serait pas illogique que la Cour, si elle devait juger de la situation belge, arrive à la même conclusion que la Cour constitutionnelle.

Conclusion

Vous pouvez encore appliquer les délais de préavis réduits lorsque l'âge de la pension est atteint. La Cour constitutionnelle a jugé cette règle parfaitement en ligne avec le principe d'égalité et la jurisprudence européenne pertinente donne également assez de munitions pour en défendre l'application.

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