Les délégations de pouvoirs au sein des sociétés permettent de simplifier ou d’optimaliser leur gestion. La simplifier, d’abord, en réduisant le nombre d’intervenants nécessaires à la prise de décisions ou à l’accomplissement des actes de gestion; l’optimaliser, ensuite, en répartissant la charge de travail ou en confiant certaines tâches à ceux qui, investis de compétences spécifiques, sont les plus à même de les exécuter.
La vie des affaires ne peut s’accommoder de la nécessité de devoir réunir le conseil d’administration chaque fois qu’un acte doit être posé par la société. C’est pourquoi les délégations de pouvoirs sont courantes en pratique. Quelles sont-elles ?
Gestion journalière
D’abord, dans le respect des statuts, le conseil d’administration ou, le cas échéant, le comité de direction peut déléguer la gestion journalière des affaires de la société, ainsi que la représentation de la société en ce qui concerne cette gestion. Il n’est pas requis que la gestion journalière soit confiée à un administrateur ou un actionnaire. En pratique, on désignera souvent un administrateur (l’administrateur-délégué) ou un cadre de l’entreprise (le directeur général).
L’omniprésence du délégué à la gestion journalière dans la vie des affaires donne à penser qu’il dispose des pleins pouvoirs. Cette illusion est parfois entretenue par l’attribution à l’administrateurdélégué du titre de Chief Executive Officer. En effet, la function de CEO, d’origine anglo-saxonne et récemment consacrée par le Code belge de gouvernance d’entreprise 2009, revient en principe au plus haut responsable exécutif de la société, dont les pouvoirs paraissent en général bien plus étendus que ceux ressortissant de la gestion journalière.
Comme son nom l’indique, le délégué à la gestion journalière n’est compétent que pour les actes de gestion journalière1 . La loi ne définit pas cette notion que la Cour de cassation a précisée dans un arrêt de principe du 17 septembre 1968 en indiquant qu’elle comprend les actes « commandés par les besoins de la vie quotidienne de la société et ceux qui tant en raison de leur peu d’importance que la nécessité d’une prompte solution ne justifient pas l’intervention du conseil d’administration lui-même ». Ainsi, en principe, l’achat ou la vente d’un immeuble ne relève pas de la gestion journalière, sauf si la société est une société immobilière.
Cette définition fait l’objet de critiques récurrentes tant elle réduit le champ d’action du délégué à la gestion journalière dans une mesure incompatible avec la réalité de la vie des affaires. Elle est aussi source d’insécurité juridique en raison des difficultés à apprécier, souvent dans le feu de l’action, si un acte ressort bien d’une telle gestion. Par un arrêt du 26 février 2009, la Cour de cassation a pourtant confirmé la définition donnée en 1968.
Comité de direction
Une autre forme de délégation consiste pour le conseil d’administration de certaines sociétés à instituer un comité de direction, ce qui suppose que les statuts de la société l’autorisent. Le choix des membres de ce comité est libre, dans les limites éventuellement prescrites par les statuts. L’on privilégiera en pratique une interaction entre les différents organes de la société tout en prévenant les risques de conflits d’intérêts.
Dans les limites prévues par les statuts, le conseil d’administration peut déléguer ses pouvoirs de gestion au comité de direction, à l’exclusion de la politique générale de la société et des actes qui lui sont réservés par la loi.
En l’absence d’un délégué à la gestion journalière, la mise en place d’un comité de direction permet de palier les difficultés relates ci-dessus quant à l’étendue des pouvoirs d’un tel délégué. En effet, dès lors que les pouvoirs de gestion du comité de direction vont bien au-delà de la délégation journalière, le risque d’excès de pouvoir lié aux limites de la gestion journalière est écarté.
Délégations spéciales
Par ailleurs, les organes de la société peuvent déléguer l’exécution de certaines missions à une personne qui, dans les limites du mandate conféré, pourra représenter la société. Il s’agit de delegations de pouvoirs dites spéciales qui peuvent avoir une large portée en visant notamment un type d’opérations (par exemple, la conclusion de baux), une branche d’activité ou une zone géographique. Le mandataire investi d’une mission devra se munir de la prevue de ses pouvoirs.
Délégations de signatures
En outre, il est crucial de prévoir des délégations de signatures2 pour les organes qui fonctionnent de manière collégiale car ells facilitent considérablement leur représentation à l’égard des tiers. Sans elles, par exemple, les contrats ressortissant de la competence du conseil d’administration devraient être signés par tous les administrateurs, ce qui relève parfois de l’impossible.
Ainsi, les statuts peuvent désigner les personnes habilitées à représenter à l’égard des tiers, seules ou conjointement, chacun des organs de la société dans leurs sphères de compétences respectives, notamment pour les besoins de la signature de contrats dont la conclusion aura été décidée par l’organe compétent. Si la personne investie du pouvoir de représenter le conseil d’administration ou le comité de direction ne peut donc se substituer à eux pour prendre une décision, elle engagera néanmoins la société à l’égard des tiers qui, en principe, ne doivent pas se soucier de l’existence ou de la régularité d’une décision interne préalable. De la meme façon, mêmes publiées, les restrictions apportées aux pouvoirs de représentation, notamment en les limitant aux opérations d’une certaine valeur ou nature, ne sont pas opposables aux tiers, de sorte que l’acte posé en violation de ces restrictions liera aussi la société qui devra alors engager la responsabilité de son représentant. Le pouvoir de représentation ne peut être confié qu’à un ou plusieurs administrateurs, membres du comité de direction ou délégués à la gestion journalière, selon l’organe concerné.
Répartition des tâches
Enfin, l’efficacité de l’organe de gestion peut encore être améliorée par une répartition interne des tâches qui lui incombent. Une telle répartition n’est pas non plus opposable aux tiers. Dans les sociétés d’une certaine dimension, on assiste aussi à la creation de divers comités consultatifs au sein et sous la responsabilité du conseil d’administration, tels que des comités de nomination, de rémunération ou d’audit.
Au terme de ce bref exposé non exhaustif, l’on conçoit que les delegations de pouvoirs revêtent un intérêt considérable dans la vie des affaires. Si elles offrent des avantages pratiques indaignables, elles suscitent cependant de nombreuses questions, notamment quant à leur validité, dont les enjeux ne doivent pas être sousestimés. Dans certains cas, la société pourrait être engagée alors qu’elle ne l’a pas voulu, ou ne pas être engagée alors qu’elle le voudrait. La question des responsabilités en cause ne peut pas être ignorée non plus.
(1) Le délégué à la gestion journalière n’est compétent que pour…la gestion journalière.
(2) Il est crucial de prévoir des délégations de signatures.