A cette époque de l'année, beaucoup de Belges vont traditionnellement remplir leur portefeuille au-delà des sapins, voire des montagnes. Mais le jeu en vaut-il encore la chandelle, les risques ne sont-ils pas devenus trop grands?
L'actualité des derniers mois a été nourrie de révélations sur des fraudes fiscales importantes liées à des fondations ou à des comptes en Suisse ou à Luxembourg. Les grands États européens semblent porter un nouveau regard sur l'ampleur du phénomène de la fraude et... sur ce qu'ils espèrent être des montagnes d'argent à rapatrier. La crise financière aidant, ils ont finalement déclaré la guerre au secret bancaire sur tout le continent.
Les États-Unis, animés d'une même volonté, ont brisé le légendaire secret suisse.
Cette croisade a pris un tour mondial lors de la réunion du G20 au printemps. Celle-ci a conduit à lister les pays considérés comme «non coopératifs». Parmi eux: la Belgique, le Luxembourg et la Suisse. Compte tenu des sanctions qui toucheront les pays visés, la Belgique a immédiatement modifié les règles de son secret bancaire. Celui-ci ne s'applique plus aux comptes ouverts en Belgique par des résidents d'autres États. Ainsi, un résident français qui perçoit tranquillement, depuis 20 ans, les intérêts produits par son compte belge ne sera plus à l'abri du fisc français. Au contraire, celui-ci sera automatiquement informé du montant des intérêts à l'avenir.
Changements dans les principes de divulgation
Le Grand-duché et la Suisse, quant à eux, tentent encore tant bien que mal de protéger leur forteresse. Non sans raison, ils font état du droit de chacun au respect de la vie privée, y compris financière.
Les pressions exercées sur ces États les ont cependant déjà amenés à renégocier, en quelques mois, des dizaines de traités fiscaux avec leurs partenaires. Ces traités prévoient désormais qu'ils ne se retrancheront plus derrière le secret bancaire pour refuser de donner des informations sur des comptes ouverts par des non-résidents. Du moins si l'État qui requiert l'information justifie concrètement de soupçons de fraude (ce qui laisse une certaine marge...).
Ils sont en outre invités fermement à renoncer totalement à leur secret bancaire dès que possible. En effet, comme les États européens sont aussi lourdement endettés qu'ils l'étaient à la sortie de la dernière guerre, constater que la Suisse et le Grand-duché agissent comme des trous noirs dans l'espace de la finance, absorbant ce que certains estiment être des montants astronomiques d'épargne, passe mal...
Extension de la Directive Epargne
La croisade européenne s'est poursuivie par l'extension du champ d'application de la Directive sur l'épargne. Celle-ci contraint les banques à renseigner les revenus financiers de leurs clients à leur pays de résidence.
Cette obligation concerne déjà les revenus d'intérêts et ceux des SICAV monétaires (même celles de capitalisation!) qui sont investies à plus de 40% en produits financiers. Du moins si elles disposent du « passeport européen ». Pour rester discret, le contribuable n'avait dès lors qu'à basculer vers des SICAV appelées « Partie II » ou « Compartiment B », sans passeport européen. A présent, sauf surprise, l'obligation de renseignement sera étendue dans le courant de 2010 à toutes les SICAV et même ... à certains contrats d'assurance vie!
Anonymat jusqu'en 2014 ? Du remous au Luxembourg
Pour en revenir aux intérêts (sur comptes, d'obligations, parts de SICAV obligataires,...), le Grand-duché et la Suisse, au contraire des autres pays européens, sont actuellement dispensés d'indiquer chaque année les revenus et le nom des clients à leur pays de résidence (par exemple, la Belgique). Ceci restera vrai, même dans le cadre de la directive «améliorée» sur l'épargne, dont question ci-dessus.
Du moins cette discrétion est-elle en principe garantie jusque courant de 2014. En contrepartie toutefois, ils retiennent un impôt sur ces revenus et en reversent (anonymement) une partie aux pays de résidence des clients. Cet impôt, de 20 %, atteindra 35 % en 2011. Et l'impôt belge, lui, n'est toujours pas payé pour autant.
Le Ministre luxembourgeois des Finances annonçait au début décembre à l'association des banques de son pays qu'il faut estimer que le secret bancaire aura disparu dans deux à quatre ans, ce qui a fait l'effet d'une bombe au sein de l'aréopage ...
Quelles alternatives ?
Les banques suisses et luxembourgeoises, conscientes que les règles changent, recommandent actuellement à leurs clients étrangers de verser leur portefeuille dans un contrat d'assurance et de l'y laisser pendant 8 ans au moins. Cela permet effectivement de cacher le portefeuille et même d'éviter tout impôt à la sortie. Dans certains cas, on risque toutefois, ce faisant, de commettre une infraction pénale (ce dont le banquier de bonne foi n'a en général même pas conscience). De plus, l'impôt européen de 20% ou 35% devrait désormais viser aussi les prélèvements sur contrats d'assurance.
Dans d'autres cas, ces banques recommandent de constituer une fondation ou une société-écran, généralement basée dans un paradis tropical, qui reprendra le portefeuille. On se rapproche alors du risque pénal de blanchiment (sanctionné par la confiscation) et ce genre de conseil est à évaluer avec une grande prudence... En outre, la Directive-épargne prévoit que ces sociétés et fondations seront considérées comme transparentes dès l'an prochain et que la banque devra payer l'impôt européen au pays du « bénéficiaire économique » de la structure.
Au bout du compte, les seuls revenus financiers «occultes», dont il est à peu près sûr aujourd'hui qu'ils ne seront pas révélés automatiquement au fisc belge un jour prochain, avec le nom de leurs bénéficiaires, sont : les dividendes et les produits des Sicav et de contrats d'assurance qui sont eux-mêmes investis pour plus de 75% en actions. Au vu de la volatilité boursière, ce n'est pas nécessairement une bonne nouvelle...
Des investigations au-delà des frontières
Enfin, une nouvelle Directive sera soumise au vote du Parlement européen au mois de mars prochain. Son but? Permettre aux États européens d'établir correctement les impôts qui leur sont dus et, pour cela, leur permettre de connaître tous les revenus que leurs résidents ont perçus dans d'autres pays d'Europe.
La Commission européenne propose la création d'une plate-forme permanente d'échange d'informations entre les États membres. Ainsi, l'Espagne renseignerait-t-elle la Belgique sur l'achat par un résident belge d'une villa sur la côte méditerranéenne ou sur l'encaissement d'un loyer ou d'intérêts bancaires,... Les contacts entre fonctionnaires de différents pays, les contrôles communs, la participation d'un inspecteur d'un pays à une enquête dans un autre, etc., seront rendus plus faciles et plus courants.
2010, année d'incertitude
L'année 2010 pourrait ainsi être celle d'un bouleversement général quant à la transparence internationale des revenus. Le secret bancaire résistera encore dans certains États, mais pour combien de temps? Rappelons que, cette année, la Suisse a du sacrifier son secret bancaire en faveur des États-Unis (sacrifice formalisé dans un accord écrit du 19 août 2009 organisant la livraison du nom et des comptes de 4.450 contribuables américains clients d'UBS). Les États européens n'arriveront-ils pas à bénéficier du même traitement, s'ils en ont la volonté?
Ne reste plus au contribuable belge qui veut éviter que son portefeuille étranger soit «découvert» tôt ou tard, que l'option d'entrer dans des mécanismes complexes ou d'aller toujours plus loin. Ou plus sagement, c'est une évidence mais qui va encore mieux en l'énonçant, soit à faire en sorte que ce portefeuille ne soit plus à l'étranger, soit à ce qu'il y reste (ce qui est parfaitement légal en soi) mais... ne soit plus occulte. Pour ne plus l'être, il peut faire l'objet d'une déclaration-régularisation, aussi appelée «DLUbis».
Régulariser mais comment ?
Cette régularisation n'impose pas de rapatrier les fonds en Belgique. Son coût ne dépasse pas le montant des impôts éludés durant les dernières années (15% sur les intérêts et 25% sur les dividendes, beaucoup plus sur des revenus professionnels ou sur un héritage récents) majorés de 10 points (par exemple, 25% sur les intérêts au lieu de 15%).
Certains estiment ce coût trop faible. Il est certainement plus bas que dans d'autres pays mais au moins le succès est-il au rendez-vous: le service de régularisations nous avouait récemment qu'il est débordé...
La procédure est assez simple. Le plus difficile est en fait d'obtenir du banquier étranger des informations correctes. Leur vérification par l'expert du contribuable (généralement un avocat pour que le secret des tractations soit garanti jusqu'au bout) entraîne en effet presque toujours des surprises: des revenus qu'on pensait être des plus-values s'avèrent être des intérêts ou des dividendes, cachés dans des «produits structurés», des frais qui peuvent être déduits de la base imposable ne sont pas indiqués par le banquier, etc.
Quand le dossier est constitué, il se voit soumis au Service compétent du fisc. Celui-ci en contrôle la cohérence et vérifie le coût de la régularisation estimé par l'expert. Ensuite, l'impôt est payé et les fonds peuvent enfin être officiellement investis ou dépensés, rapatriés ou non. Ils peuvent aussi être donnés aux enfants du contribuable, ce qui était très délicat tant qu'ils étaient entachés d'une fraude qui « collait » à ceux-ci.
Faire le point
Sachant que toute nouvelle infraction (encaisser de nouveaux intérêts sur son compte étranger, par exemple) n'en sera plus une dès le dépôt de la demande de régularisation (DLUbis), une bonne résolution à cette époque de l'année pourrait être d'arrêter un instant le cours du temps et de faire le point. La nouvelle année commencera peut-être alors sous des auspices plus tranquilles, quelques soient les remises en cause à venir du secret bancaire.