07/12/12

La responsabilité des dirigeants d’entreprises en difficultés: responsabilités liées aux comptes annuels

Le climat économique mondial est en berne et l'économie belge ne fait pas exception.

En 2011, on a dénombré pas moins de 15.528 faillites 1. L'année 2012 ne semble guère plus réjouissante avec un mois d'octobre au cours duquel pas moins de 1.210 2faillites ont été déclarées, ce qui constitue un nouveau record absolu.

Dans pareilles circonstances, la tentation est grande de rechercher la responsabilité des dirigeants d'entreprises 3(ci-après les « dirigeants »), essentiellement parce qu'ils s'avéreront (en principe) plus solvables que l'entreprise en difficultés elle-même.

Face à ce constat d'actualité, il est utile de rappeler quelques écueils fréquemment rencontrés dans la pratique. Dans ce premier article, nous traiterons de deux sources de responsabilités liées aux comptes annuels. Dans un second article (à paraître ultérieurement), nous aborderons la question de la poursuite déraisonnable d'une activité déficitaire.

Responsabilités liées aux comptes annuels

(i) Le principe

S'agissant des comptes annuels, nous aborderons deux sources d'obligations dans le chef des dirigeants: l'établissement et le dépôt des comptes annuels ainsi que la procédure prévue en cas de réduction significative de l'actif net.

S'agissant de l'établissement et du dépôt des comptes annuels, les dirigeants ont l'obligation d'établir annuellement les comptes de leurs sociétés et de les soumettre à l'approbation de l'assemblée générale des actionnaires dans les 6 mois de la clôture de l'exercice social.
Une fois les comptes annuels approuvés, il appartiendra aux dirigeants de procéder à leur dépôt auprès de la Banque Nationale dans les 30 jours de leur approbation par l'assemblée générale et, au plus tard, sept mois après la date de la clôture de l'exercice social.
S'agissant des réductions significatives de l'actif net, les dirigeants ont l'obligation de convoquer une assemblée générale des actionnaires pour délibérer sur la poursuite des activités de la société ou sur son éventuelle dissolution, et ce, dans les deux mois à dater du moment où ils ont constaté ou auraient dû constater que l'actif net est inférieur à la moitié ou au quart du capital social.

A cet égard, les dirigeants devront justifier leur proposition (dissolution ou poursuite des activités) dans un rapport spécial tenu à la disposition des actionnaires au siège de la société, quinze jours avant l'assemblée générale.

Si les dirigeants proposent la poursuite des activités, ils devront exposer les mesures concrètes qu'ils ont l'intention d'adopter en vue de redresser la situation financière de la société de sorte que les actionnaires puissent délibérer en parfaite connaissance de cause.
Si les difficultés financières sont avérées en cas de réduction significative de l'actif net, les choses peuvent paraître moins évidentes dans le cas de l'absence d'établissement et du non dépôt ou du dépôt tardif des comptes annuels.
Dans certains cas, le retard dans l'établissement ou l'absence totale de comptes annuels peuvent s'expliquer par des difficultés financières mettant la société en difficultés devant le choix cornélien de l'adaptation de ses règles d'évaluations comptables (règles de continuité ou de discontinuité ?).
C'est d'ailleurs pour cette raison que, tout comme les réductions significatives de l'actif net, le non dépôt ou le dépôt tardif des comptes annuels est généralement repris par les chambres d'enquête commerciale des tribunaux de commerce comme étant un « clignotant » 4.

(ii) Quelle sanction?

En cas de non-respect des obligations précitées, le dommage subi par le tiers sera, sauf preuve du contraire, présumé résulter du manquement commis par les dirigeants.

Il s'agit donc d'une présomption de lien de causalité entre le manquement commis par les dirigeants et le dommage subi par le tiers. Cette présomption est susceptible de la preuve du contraire et pourra être renversée en démontrant que le dommage subi par le tiers n'est pas en relation causale avec le manquement commis.

Par ailleurs, la responsabilité des dirigeants sera solidaire dans la mesure où elle est fondée sur la violation de règles établies par le Code des sociétés. Les dirigeants pourront échapper à cette responsabilité solidaire en prouvant (i) qu'il n'ont pas pris part à l'infraction (ii) qu'aucune faute ne leur est imputable et (iii) qu'ils ont dénoncé l'infraction à la première assemblée générale suivant le moment où ils en ont eu connaissance.

(iii) Qui peut introduire une telle action bénéficiant de la présomption de lien de causalité ?

Tout tiers qui aurait subi un préjudice.

(iv) Que faut-il prouver pour introduire une telle action ?

Le lien de causalité étant présumé, le tiers préjudicié devra uniquement établir un dommage et le manquement commis par les dirigeants.
Plus particulièrement, en ce qui concerne le non établissement, le non dépôt et/ou le dépôt tardif des comptes annuels, il nous semble qu'il faut établir une distinction entre les tiers préjudiciés (i) qui connaissaient la situation financière de la société en difficultés, (ii) ceux qui ont contracté avant que les comptes annuels de la société en difficultés n'aient dû être approuvés et déposés et (iii) ceux qui ont contracté après le moment où les comptes annuels auraient dû être approuvés et déposés.
Selon nous, seule la troisième catégorie de tiers pourrait faire valoir un préjudice réparable découlant de l'absence d'établissement et/ou du non dépôt ou dépôt tardif des comptes annuels.
En effet, la première catégorie de tiers ne peut prétendre à aucune indemnisation vu qu'ils ont contracté avec la société en difficultés en parfaite connaissance de cause. Les tiers de la seconde catégorie sont également exclus étant donné que leur créance est née avant le moment où les comptes annuels auraient dû être approuvés ou déposés et que, dès lors, ils ne peuvent prétendre qu'ils n'auraient pas contracté ou qu'ils auraient contracté à des conditions différentes.
Par contre, les tiers préjudiciés appartenant à la troisième catégorie susmentionnée pourraient invoquer le fait que s'ils avaient pu prendre connaissance des comptes annuels, ils n'auraient pas contracté avec la société en difficultés ou, qu'à tout le moins, ils auraient contracté mais à d'autres conditions.
Enfin, en ce qui concerne le non-respect de la procédure prévue en cas de réduction significative de l'actif net, le dommage dont le tiers se prévaudra résidera dans l'accroissement du passif entre le moment où l'assemblée générale aurait dû être convoquée et le moment où l'action en responsabilité est intentée.

(A suivre)

1Chiffres de Graydon Belgium.
2Chiffres de Graydon Belgium.
3Dans le présent article, le terme "dirigeants d'entreprises" fait référence aux administrateurs d'une SA ainsi qu'aux gérants d'une SPRL.

4Les chambres d'enquêtes commerciales sont des services établis et organisés au sein des tribunaux de commerce qui ont essentiellement pour mission de collecter des clignotants, c'est-à-dire toute manifestation extérieure des difficultés rencontrées par un débiteur.

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