12/07/24

L’instauration des chambres de règlement amiable dans les juridictions civiles et commerciales

Le coût d’une procédure et l’arriéré judiciaire particulièrement important devant de nombreuses juridictions en Belgique, ont amené le législateur, depuis plusieurs années, à encourager et favoriser le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges. Ainsi, la loi du 18 juin 2018 a notamment autorisé le juge à imposer une médiation aux parties (sauf si elles s’y opposent toutes).

Le 19 décembre 2023, poursuivant le même objectif, le législateur a consacré l’existence des chambres de règlement amiable (les « CRA »), dont chaque tribunal devra disposer pour le 1er septembre 2025 au plus tard.

Dans cet article, nous définirons, tout d’abord, ce qu’est la conciliation au sein d’une CRA1, pour ensuite examiner plus en détails le fonctionnement des CRA en matières civiles et d’entreprise2, les avantages par rapport à une procédure judiciaire, et le type de décision qu’on peut y obtenir.

Qu’est-ce que la conciliation devant la CRA ? 

La conciliation devant une CRA est un processus confidentiel au cours duquel les parties comparaissent devant un juge dans le but de trouver, avec l’aide de ce dernier, une solution amiable au différend qui les oppose. La conciliation est fondamentalement différente d’une procédure contentieuse « classique ». Il ne s’agira pas, pour le juge, de trancher le litige, mais au contraire, de jouer le rôle de conciliateur : il est ainsi chargé de rapprocher les positions parties et de les guider dans la recherche d’une solution négociée.  

La loi du 19 décembre 2023 portant dispositions diverses en matière civile et judiciaire (la « Loi ») a modifié le Code judiciaire pour consacrer légalement et encadrer les chambres de règlement amiable. Avant cette Loi, plusieurs cours et tribunaux en Belgique (notamment dans l’arrondissement de Bruxelles) avaient déjà pris l’initiative de créer en leur sein, de manière prétorienne3, de telles chambres de « règlement amiable ». La Loi généralise désormais les CRA à toutes les juridictions civiles, sociales et d’entreprise. Pour le 1e septembre 2025 au plus tard, les Tribunaux de premières instance, les Tribunaux du travail, les Tribunaux de l’entreprise, les Cours d’appel et les Cours du travail devront se doter d’une chambre de règlement amiable, dans laquelle siègera(ont) un/des juge(s) conciliateur(s) formé(s) à la conciliation judicaire.  

Comment la CRA est-elle saisie ? 

 Les CRA peuvent être saisies de trois manières :  

  1.  À la demande (même verbale) d’une partie ou de commun accord des parties, en dehors de tout acte introductif d’instance, et donc avant même l’introduction d’une procédure judiciaire ;  
  2.  Par acte introductif d’instance « classique », dans lequel un renvoi préalable devant une CRA est demandé, avant l’introduction de l’affaire au fond ;  
  3.  À l’initiative du juge4 ou d’une des parties (dans ce cas aussi, la demande peut être faite même verbalement) lorsqu’une procédure est déjà pendante. Le renvoi de l’affaire devant la CRA peut avoir lieu tout au long de l’instance. 

 Il est également intéressant de noter que pour autant qu’elle contienne une réclamation en droit, la demande en conciliation suspend le cours de la prescription pendant un mois. 

Comment se déroule une conciliation devant la CRA et quels sont ses avantages par rapport à la procédure contentieuse ?  

Un avantage incontestable de la conciliation est son caractère confidentiel : les audiences de conciliation devant les CRA se tiennent en chambre du conseil, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas ouvertes au public. Tout ce qui s’y dit et s’y échange reste confidentiel. 

Les parties sont tenues de comparaître en personne (ou par l’intermédiaire de leur représentant légal, dans le cas des personnes morales) mais peuvent se faire accompagner de leur avocat. Ce dernier n’aura toutefois pas le même rôle que dans une procédure contentieuse « classique » : il ne s’agira pas de plaider pour tenter de convaincre le juge du bien-fondé de la demande du client, mais de participer à la construction d’une solution négociée et satisfaisante pour chacune des parties.  

Comme indiqué ci-avant, le rôle du juge qui siège au sein d’une CRA est sensiblement différent.  

Il ne tranche pas le litige, mais il a pour mission de faciliter le consensus entre parties. Dans ce contexte, il peut notamment s’entretenir en aparté avec chacune des parties, moyennant l’accord de celles-ci. 

Contrairement au médiateur, le juge conciliateur n’est pas tenu de rester neutre : Il peut donc, par exemple, donner son avis aux parties sur les chances de succès en cas de la procédure contentieuse et proposer des pistes de solution. Il demeure toutefois indépendant et impartial et devra, notamment, veiller à ce que l’égalité des armes entre les parties soit respectée. 

Il convient encore de souligner qu’en cas d’échec de la conciliation et d’introduction ou poursuite d’une procédure contentieuse, le juge conciliateur qui a siégé à la CRA ne sera jamais celui qui tranchera le litige judiciaire.  

Un autre atout de la conciliation est la possibilité, tant pour les parties que pour le juge, d’y mettre un terme à tout moment. 

Enfin, la conciliation devant une CRA présente également un avantage majeur en termes de durée, par rapport à la procédure contentieuse. En effet, les parties pourront obtenir une audience de conciliation devant la CRA à très brève échéance (en quelques semaines). 

Quelles sont les issues possibles d’une conciliation devant la CRA ? 

La conciliation connaît potentiellement deux issues : 

  1. Soit elle réussit, c’est-à-dire que les parties parviennent à un accord (total ou partiel). Les termes de l’accord sont alors, soit constatés dans un procès-verbal de conciliation qui sera exécutoire (sauf renonciation des parties), soit actés dans un jugement d’accord également exécutoire ; 
  2. Soit elle échoue : aucun accord n’est trouvé. Les parties demeurent alors libres d’introduire une procédure judiciaire « classique » ou de la poursuivre, si elle était déjà en cours. L’affaire sera tranchée par une autre chambre et un autre juge de la même juridiction.  

Conclusion 

 Les nouvelles chambres de règlement amiable sont une réelle opportunité pour le justiciable. Dans les juridictions qui disposent déjà d’une CRA, les taux de réussite sont encourageants : environ 80 % des conciliations aboutissent à un accord.  

L’instauration généralisée des CRA offrira donc aux justiciables la possibilité de bénéficier, pour presque tout type de litige, d’une alternative gratuite5 , confidentielle et rapide à la procédure contentieuse. 

Fanny Laune
Zoé Ledent

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