31/05/10

Polluted soils – Polluter Pays Principle - Case C-378/08

Sols pollués – Pollution antérieure à la date prévue pour la transposition de la directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale

La Cour de Justice est interrogée par question préjudicielle d’une juridiction italienne sur l’interprétation du principe pollueur-payeur au regard de la directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale.

L’affaire au principal concerne la région du Priolo Gargallo (Sicile), déclarée «site d’intérêt national aux fins de la ‘bonification’», et, plus particulièrement, la rade d’Augusta. Celle-ci est affectée par des phénomènes récurrents de pollution environnementale dont l’origine remonterait déjà aux années 60, lorsque le pôle Augusta-Priolo-Melilli a été créé en tant que pôle pétrolier. Depuis lors, de nombreuses entreprises, actives dans le secteur des hydrocarbures et de la pétrochimie, se sont installées et/ou se sont succédées dans cette région.

La zone a fait l’objet d’une «caractérisation» visant à évaluer l’état des sols, des nappes phréatiques, de la mer côtière et des fonds marins. Les entreprises établies dans le pôle pétrochimique, en leur qualité de propriétaire des zones industrielles terrestres comprises dans le site d’intérêt national, ont présenté des projets de sécurisation d’urgence et de «bonification» de la nappe, lesquels ont été approuvés par décret interministériel.

Par différentes mesures successives et en raison du retard dans l’exécution des projets d’intervention qu’elle reprochait aux entreprises concernées, l’autorité publique compétente a ordonné auxdites entreprises de procéder à la «bonification» et à la remise en état des fonds marins de la rade d’Augusta et, notamment, au retrait des sédiments contaminés présents dans celle-ci sur une profondeur de deux mètres, sous peine, à défaut pour lesdites entreprises de s’exécuter, que lesdits travaux soient effectués d’office, à la charge et aux frais de ces dernières. Il a également été décidé de compléter les mesures précédemment approuvées par la réalisation d’un confinement physique de la nappe.

Affirmant qu’un tel ouvrage était irréalisable et les exposait à des coûts démesurés, les entreprises concernées ont introduit des recours contre lesdites décisions administratives devant la juridiction de renvoi. Par jugement n° 1254/2007, du 21 juillet 2007, cette dernière a accueilli lesdits recours en considérant que les obligations de «bonification» étaient illicites, car il n’avait pas été tenu compte, lors de la prescription de celles-ci, du principe du pollueur-payeur ni des règles nationales qui régissent les procédures de «bonification» non plus que du principe du contradictoire. En outre, aucun débat n’avait eu lieu avec les entreprises en cause sur les conditions de réalisation d’une telle «bonification».

La juridiction de renvoi relève que la pratique de l’autorité publique compétente, confirmée par le juge d’appel, consiste donc, en l’état, à faire endosser aux entreprises qui opèrent dans la rade d’Augusta la responsabilité de la pollution environnementale existante, sans faire de distinction entre la pollution antérieure et celle actuelle ni procéder à un examen de la part de responsabilité directe dans le dommage de chacune des entreprises concernées.

Envisageant une éventuelle évolution de sa jurisprudence dans le même sens que celle de l’instance d’appel, la juridiction de renvoi relève la situation particulière de la pollution propre à la rade d’Augusta. Elle souligne en particulier qu’une pluralité d’entreprises de pétrochimie se sont succédées dans la zone, de sorte qu’il serait non seulement impossible, mais également inutile, de déterminer la part de responsabilité respective de chacune d’elles, en particulier si l’on considère que le fait de conduire dans le site contaminé des activités en elles-mêmes dangereuses devait être considéré comme suffisant pour retenir la responsabilité de ces entreprises.

C’est dans ces conditions que le Tribunale amministrativo regionale della Sicilia a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

«1) Le principe du pollueur-payeur (article 174 CE […]) et les dispositions de la directive [2004/35] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui confère à l’administration le pouvoir d’ordonner à des entrepreneurs privés, du seul fait que ceux-ci se trouvent être installés dans une zone polluée depuis longtemps ou dans une zone limitrophe à la première et qu’ils y exercent leur activité, de mettre en œuvre des mesures de réparation, indépendamment de la conduite de quelque enquête que ce soit, propre à déterminer le responsable de la pollution en cause?

2) Le principe du pollueur-payeur (article 174 CE […]) et les dispositions de la directive [2004/35] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui confère à l’administration le pouvoir de faire porter la responsabilité de la réparation du préjudice environnemental spécifique par le sujet, titulaire de droits réels et/ou exerçant une activité entrepreneuriale sur le site contaminé, en vertu du seul rapport de ‘présence’ dans lequel le sujet lui-même se trouve (celui-ci étant un opérateur dont l’activité est conduite à l’intérieur du site), c’est-à-dire sans avoir à établir au préalable l’existence du lien de causalité entre la conduite du sujet en question et l’événement qui est à l’origine de la pollution?

3) La réglementation communautaire prévue dans les dispositions de l’article 174 CE […] et celles de la directive [2004/35] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui, au-delà du principe du pollueur-payeur, confère à l’administration le pouvoir de faire porter la responsabilité de la réparation du préjudice environnemental spécifique par le sujet, titulaire de droits réels et/ou d’une entreprise sur le site contaminé, sans avoir à établir au préalable, outre le lien de causalité entre la conduite du sujet en question et l’événement qui est à l’origine de la pollution, l’existence de la condition subjective de l’intention dolosive ou de la faute?

4) Les principes communautaires en matière de protection de la concurrence prévus par le traité instituant la Communauté européenne et les directives […] [2004/18], [93/37/CEE, du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54)] et 89/665/CEE [du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33)], s’opposent-ils à une réglementation nationale qui confère à l’administration le pouvoir de confier directement à des sujets de droit privé (sociétés Sviluppo SpA et [Sviluppo]) des activités de caractérisation, de conception et de réalisation de travaux de ‘bonification’ – de réalisation d’ouvrages publics – dans les aires domaniales, sans observer préalablement les procédures prescrites en matière de marchés publics?»

La Cour répond à ces questions de la manière suivante :

Lorsque, dans une situation de pollution environnementale, les conditions d’application ratione temporis et/ou ratione materiæ de la directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, ne sont pas remplies, une telle situation relèvera alors du droit national, dans le respect des règles du traité et sans préjudice d’autres actes de droit dérivé.

La directive 2004/35 ne s’oppose pas à une réglementation nationale permettant à l’autorité compétente, agissant dans le cadre de cette directive, de présumer l’existence d’un lien de causalité, y compris dans le cas de pollutions à caractère diffus, entre des exploitants et une pollution constatée, et ce en raison de la proximité de leurs installations avec la zone de pollution. Cependant, conformément au principe du pollueur-payeur, aux fins de présumer de la sorte un tel lien de causalité, cette autorité doit disposer d’indices plausibles susceptibles de fonder sa présomption, tels que la proximité de l’installation de l’exploitant avec la pollution constatée et la correspondance entre les substances polluantes retrouvées et les composants utilisés par ledit exploitant dans le cadre de ses activités.

Les articles 3, paragraphe 1, 4, paragraphe 5, et 11, paragraphe 2, de la directive 2004/35 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’elle décide d’imposer des mesures de réparation de dommages environnementaux à des exploitants dont les activités relèvent de l’annexe III de cette directive, l’autorité compétente n’est tenue d’établir ni une faute ni une négligence non plus qu’une intention dolosive dans le chef des exploitants dont les activités sont tenues pour responsables des dommages causés à l’environnement. En revanche, il incombe à cette autorité, d’une part, de rechercher préalablement l’origine de la pollution constatée, ladite autorité disposant à cet égard d’une marge d’appréciation quant aux procédures, aux moyens devant être déployés et à la durée d’une telle recherche. D’autre part, cette autorité est tenue d’établir, selon les règles nationales régissant la preuve, un lien de causalité entre les activités des exploitants visés par les mesures de réparation et cette pollution.

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