L'accord de gouvernement mentionne "les mesures prises pour la lutte contre la fraude fiscale sont: (...) réécriture de la législation en matière de sous capitalisation". Au moment d'écrire ces lignes, le projet de loi à cet égard n'est pas déposé, bien qu'un vote pour mars ait été annoncé. A quoi peut-on s'attendre et quelles sont les pratiques de nos voisins à cet égard ?
Déductibilité des intérêts. Outre la règle générale en matière de déductibilité des frais professionnels, le droit fiscal contient une série de dispositions spécifiques conditionnant ou limitant la déductibilité des intérêts :
• l'application du principe de pleine concurrence au financement intra-groupe : l'intérêt doit être « de marché », tenant compte de toutes les caractéristiques de l'opération ;
• une série de dispositions visant les prêteurs-bénéficiaires soumis à un régime fiscal privilégié ;
• deux règles de sous-capitalisation (ou thin cap) : une règle de 1 sur 1 au champ d'application restreint et ne faisant pas partie de la présente contribution, et une règle de 7 sur 1 dont la modification a été annoncée.
Thin cap actuelle. La déductibilité d'intérêts est restreinte lorsque :
• le bénéficiaire effectif de ces intérêts n'est pas soumis à un impôt sur les revenus ou est soumis, pour ces intérêts, à un régime fiscal notablement plus avantageux que le régime fiscal de droit commun belge ; et
• le montant total des prêts (hors obligations et titres analogues émis par appel public à l'épargne) excède 7 fois les fonds propres (i.e. les réserves au début de l'exercice - afin de ne pas tenir compte de la perte de l'année - et le capital libéré à la fin de l'exercice - afin le cas échéant d'augmenter celui-ci avant la clôture).
Le ratio de 7 sur 1 n'est déterminé que par référence aux prêts octroyés par les bénéficiaires précités, dont les anciens centres de coordination, et ce ratio élevé avait précisément pour but de ne pas pénaliser leur activité. Seuls les intérêts relatifs à la partie des prêts excédant de ce ratio sont non déductibles.
Modification annoncée. La modification à intervenir impliquerait l'application d'un ratio de 5 sur 1 aux seuls prêts intra-groupe et la suppression de toute condition relative au régime fiscal du prêteur. En d'autres termes, l'emprunteur ne pourrait plus déduire les intérêts afférents à des prêts octroyés par une société du même groupe, quel que soit son régime fiscal, lorsque ces prêts excèdent 5 fois ses fonds propres. La notion de groupe s'apprécierait en fonction d'une détention directe ou indirecte d'une participation de 20% dans le capital de l'emprunteur.
Il est frappant de constater que cette modification annoncée est reprise dans la partie consacrée à la fraude alors qu'elle ne tiendrait plus du tout compte du régime fiscal du bénéficiaire. Il y avait toutefois une certaine logique à refuser la déductibilité des intérêts lorsque le bénéficiaire n'était pas imposé sur ceux-ci.
Tour d'horizon. Le Luxembourg applique en matière de sous-capitalisation une pratique fondée sur un ratio dettes / fonds propres de 85 / 15 lors du financement intra-groupe de l'acquisition d'une participation. L'Allemagne applique quant à elle un système différent : dans la mesure où les charges d'intérêts ne dépassent pas les produits d'intérêts, ces charges sont déductibles. Ensuite, la déductibilité est limitée pour le surplus à 30% de l'EBITDA sauf dans l'hypothèse où le montant des intérêts ne dépasse pas 3 millions, et enfin la charge fiscale des intérêts non déduits est reportable.
La France connaît un système de thin cap triple, applicable aux prêts accordés ou garantis par une entreprise liée. Si le total des intérêts versés à l'ensemble des entreprises liées excède, pour un même exercice, les trois limites suivantes simultanément, la fraction excédant la plus élevée de ces limites ne peut être déduite au titre de cet exercice :
• le montant des intérêts afférent aux emprunts compris dans un ratio de dettes / capitaux propres de 1,5 sur 1 déterminé au choix du contribuable sur base des capitaux propres à l'ouverture ou à la clôture de l'exercice ;
• le montant correspondant à 25% du résultat opérationnel et financier ;
• le montant des intérêts reçus d'entreprises liées.
Cette restriction ne s'applique pas si la fraction excédentaire est inférieure à 150.000 €. Les intérêts non déduits lors d'un exercice donné sont reportables sur les exercices subséquents mais soumis à un discount annuel de 5%.
Les Pays-Bas distinguent selon la finalité du prêt.
• D'une part, la déductibilité des intérêts intra-groupe (hors première tranche de 500.000 €) est limitée en fonction d'un ratio de dettes / fonds propres (hors réserves fiscales) de 3 sur 1.
• D'autre part, la déductibilité des intérêts intra-groupe liés à certaines opérations (e.g., distributions de bénéfices, augmentation de capital, acquisitions de sociétés liées) est limitée, sauf si le contribuable démontre (i) que le prêt et l'opération sont conclus pour des raisons commerciales ou (ii) que les intérêts sont imposées suffisamment au niveau de la société prêteuse.
• En plus, la dernière loi de finances a introduit une restriction additionnelle à la déductibilité d'intérêts liés à l'acquisition de sociétés néerlandaises en cas de consolidation fiscale ou de scission partielle, afin de limiter la compensation des revenus de la société-cible avec les intérêts liés à la dette d'acquisition. Contrairement aux règles mentionnées ci-dessus, cette disposition vise aussi les prêts bancaires.
Conclusion. Difficile de se prononcer à ce stade sans projet de texte. A priori, un ratio de 5 sur 1 applicable uniquement aux intérêts intra-groupe paraît soutenable. Dans une situation nationale, une telle mesure devrait participer - tout comme les intérêts notionnels - au renforcement des fonds propres des sociétés, améliorant leur position par rapport à leurs créanciers et permettant le respect de leurs covenants bancaires. Toutefois, la Belgique ne résiste pas à la comparaison : un avantage compétitif est supprimé alors que la consolidation fiscale reste absente et que les dividendes restent imposés à concurrence de 5% là où le Luxembourg et les Pays-Bas prévoient une exemption totale. Et il y reste l'inconnue des exemptions : cette nouvelle mesure visera-t-elle - contrairement à la France par exemple - les opérations réalisées dans le cadre d'un cash pooling, les opérations de financement d'actifs donnés par la suite en leasing, les opérations de refinancement suite à l'activation d'une clause de changement de contrôle ? Alors qu'il avait pris en considération la situation particulière des centres de coordination lors de l'introduction de notre (ancienne) règle de sous-capitalisation, il serait maintenant dommage que le législateur sacrifie sur l'autel budgétaire les centres de financement et de trésorerie et le secteur du leasing.